mardi 29 septembre 2009

Concours de nouvelles 2009: les lauréats (2/3)

Et voilà, notre concours annuel de nouvelles s'est achevé. Encore une fois, le succès a été au rendez-vous puisque nous avons battu un nouveau record de candidats. Faut dire que la dotation en lots était particulièrement exceptionnelle cette année.
Profitons donc des trois nouvelles qui ont été primées par les très nombreux votants... tout en relisant les autres directement sur le forum: http://communist.forumpro.fr/forum.htm Pourquoi bouder notre plaisir, hein, pourquoi?

La 2ème place a été remportée avec brio par Gigi Meroni. Enjoy!



IL ME SEMBLE QUE J'AI FROLE LA VIE

Encore une journée, encore une semaine...

Amandine était la première arrivée, encore une fois, dans cette petite succursale d'une grande banque française. Elle avait ouvert consciencieusement les portes, mis son pack Office en branle.
Elle scrutait des yeux la porte, en attendant Marc.

Celui-ci fit son entrée dans l'agence à 8h58, comme tous les jours depuis une bonne vingtaine d'années. Amandine, malgré sa condition de stagiaire, connaissait parfaitement la routine de son patron. Sans doute avait-il écouté The End de The Doors ou fredonné « full of broken thoughts I cannot repair » de Cash en faisant les quelques dizaines de kilomètres séparant Joinville du XVè aarrondissement.

Marc la salua bien bas. Malgré son apparence volontairement austère, une barbe très drue et sombre faisant corps avec sa chevelure épaisse; Marc pouvait rester courtois quand la situation le demandait et il savait ô combien son attitude souvent froide pouvait être difficile à vivre pour autrui.

La machine à café fut le lieu de rencontre matinale. Marc fit l'effort de répondre aux questions, malheureusement banales, d'Amandine et de tenir la conversation. Il aurait tant aimé parler du film qu'il avait vu hier soir au Cinéma de Minuit, de son bonheur d'avoir des si petits yeux car ce Kurosawa valait bien quelques heures de sommeil. Mais il laissa passer la discussion en ne laissant pas transparaître son désappointement, elle semblait déjà si fébrile en sa présence.

Puis chacun regagna son bureau. « On fait comme d'habitude. C'est lundi matin », lâcha t-il.
Amandine fit un sourire et comprit que la matinée serait chargée. Il ferma la porte de son bureau en appuyant de sa main libre sur le haut de la porte, pour accompagner le mouvement de sa main droite avec la poignée.

Il prit un dossier au hasard, celui qui sut se faire désirer avec sa pochette orange. M. Daniel Vincent. Marc semblait circonspect mais deux prénoms lui avaient déjà valu de beaux voyages alors pourquoi pas. Il scruta tout de même les relevés de ce client, conscience professionnelle oblige. Les différents plans d'épargne associés à ce dossier, les actions vendues, achetées...

Vint le moment. Quel mois choisir ? C'est important un mois. Une saison. Ça offre des perspectives différentes. Les moissons, les festivals, les jupes, les écharpes, les feuilles mortes, les soleils couchants...

Va pour janvier. Un rapide coup d'oeil sur le relevé de comptes lui offrit l'assurance de belles heures à venir.

1er janvier : 60$ retiré à Salt Lake. Marc était déjà allé tant de fois aux Etats-Unis à l'occasion de ses lundi matin. Salt Lake, Utah. 60$ au lendemain du réveillon. De quoi payer une chambre de motel sans doute. Peut-être aurait-il pu finir la nuit avec une de ces belles américaines, qu'il aurait dragué chez un de ses amis, entrepreneur ayant quitté la France pour le rêve américain.

4 janvier : 85$ - pass pour le Sundance Festival. La suite du voyage l'enchantait. Sundance, sa fille lui en avait souvent parlé. Non pas qu'elle y ait été mais elle suivait avec attention chaque année la nouvelle cuvée de ce festival contestataire. Et Marc, lui, du haut de ses 53 ans, avait la chance d'y être. Croiser Robert Redford. Se frotter à ce que la jeunesse mondiale fait de plus inventif en terme cinématographique. Marc rigola avec cet Uruguayen, qui croyait avoir réinventé le cinéma en croisant des récits par le biais de rencontres multiples. Marc lui rappela simplement que Jarmusch ou encore Scola le firent avant lui. Mais ce qui marqua surtout notre voyageur, ce fut la très grande considération qu'il recevait quand il disait être Français. « Ah la Nouvelle Vague ». Des jeunes gens, n'ayant même pas dépassé les 30 printemps, lui parlaient de Doinel, de Ronet. Il lui semblait assez incroyable qu'un tel abîme puisse exister entre ces jeunes gens érudits, curieux et la pauvre Amandine qui faisait tourner ses stylos avec deux doigts, faisant montre de beaucoup de dexterité cependant.

11 janvier : 120€ chez Zara à Paris.
12 janvier : 45€ chez un fleuriste dans les Ardennes. Un enterrement sans doute. On ne se déplace pas dans les Ardennes un jeudi pour acheter des fleurs. Marc aimait guère les enterrements mais cela faisait partie du jeu, pensait-il. Il faut accepter le voyage avec tout ce qu'il contient : cela aurait pu être l'un des commandements de ses lundi matin. Il espéra que ce fut un aïeul assez éloigné ou assez vieux et se décida pour un grand-père. Marc s'imagina la vieille bâtisse paysanne, la mascarade se jouant sous ses yeux avec un vieil homme, robuste tel un Michel Simon, célébré comme il ne le fut jamais de son vivant. Marc prit le parti d'aller se balader le long d'un des étangs jouxtant le village. Cela lui rappela ses aïeuls, à lui. Et il réfléchit, faisant demi-tour sur sa chaise Ikea, à tout ce qu'il avait perdu voilà 30 ans avec la disparition de ses grands-parents. Bien plus que des personnes, un univers, des senteurs.

21 janvier : 152€ aller-retour vers Athènes. Marc avait tant rêvé voir le Parthénon et jamais aucun de ses clients ne l'y emmena. Marc remercia silencieusement Daniel. Il pensa à ce que la Grèce lui avait pris et ce à quoi elle le contraignait. Marc vivait seul depuis maintenant quinze ans mais il fut un jour marié. Il eut même une fille avec celle dont le nom ne lui évoquait aujourd'hui que regrets. Océane, elle devrait avoir dans les 22 ans. Partie lors de sa 18è année trouver l'amour en terre hellène. Depuis, Marc ne l'avait pas revu, quelques lettres chaque année, guère plus. Et là Daniel lui offrait cette retrouvaille sur un plateau. Monastiraki, tel était le nom de son quartier.

Un coup de fil mit un terme à ces rêveries de notre promeneur solitaire. Il pensa dans un premier temps réprimander Amandine, mais il savait bien que si elle avait laissé passer cet appel, c'était urgent.
« Oui.
- M. Roch. Il souhaite vous parler sur le champ.
- Bien, passe le moi... Alors M. Roch, comment allez-vous ? »

Ce dernier avait reçu une lettre d'information lui indiquant des conditions particulièrement intéressantes pour un prêt et pensait que ces conditions ne lui avaient pas été offertes par Marc lorsqu'il s'est agi d'un prêt pour cette nouvelle Alfa Romeo la semaine précédente.

Retour en Grèce. Monastiraki. Sortie du métro. Marc voyait le stade du Panathinaikos face à lui, des petites ruelles montantes à droite et un marché à gauche. Il s'attarda sur le marché, goûta ouzo, souvlaki et autres mets grecs avec plaisir. Puis soudain, il lui sembla qu'elle était là. A une vingtaine de mètres, peut-être un peu plus brune que 4 ans auparavant. Toujours sa ligne svelte. Marc rétrécit sa foulée. 10 mètres avant impact. Elle ne l'avait pas vu et lui ne la quittait plus des yeux. Puis un jeune homme, une sorte d'éphèbe, un Moustaki jeune prit sa fille par les hanches. Bientôt suivi par un petit gars marchant péniblement du haut de ses quelques dizaines de mois. Sourires sur les visages des trois protagonistes de la scène dont Marc était l'unique spectateur. Il se sentait de trop et referma le dossier de ce Daniel Vincente.

Après quelques minutes, il ouvrit la porte de son bureau et vint demander à Amandine si tout allait bien. Celle-ci fut touchée de l'attention et lui demanda si tout s'était bien passé lors de son périple. Marc ne savait plus pourquoi il avait expliqué sa routine des lundi matin à Amandine mais après tout, peu importait. Il lui répondit magnifiquement par un synthétique: « Je crois que l'espace d'un instant, j'ai frôlé la vie. »

Amandine ne sut que répondre à cette phrase, qui n’attendait sans doute pas de répartie. Un autre café vint garnir leur matinée. Amandine sentait son patron plus proche que quelques heures auparavant. Celui-ci mit la radio quelques instants et entendit « if I could start again a million miles away, I would find a way ».

Les deux sourirent. Puis Amandine sortit la liste des rendez-vous de Marc pour la semaine...



Gigi

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