vendredi 25 septembre 2009

Concours de nouvelles 2009: les lauréats (1/3)

Et voilà, notre concours annuel de nouvelles s'est achevé. Encore une fois, le succès a été au rendez-vous puisque nous avons battu un nouveau record de candidats. Faut dire que la dotation en lots était particulièrement exceptionnelle cette année.
Profitons donc des trois nouvelles qui ont été primées par les très nombreux votants... tout en relisant les autres directement sur le forum: http://communist.forumpro.fr/forum.htm Pourquoi bouder notre plaisir, hein, pourquoi?

A la 3ème place, nous retrouvons Ajax avec une superbe nouvelle que je vous invite à (re)découvrir sans plus attendre.



Bernardo de Souza Le Tellier avait revêtu son plus beau costume en ce dimanche de février. Un costume blanc taillé sur mesure par un des meilleurs artisans de la ville qui faisait venir ses modèles depuis Paris et Milan. Le trois-pièces mettait en valeur la longue et fine silhouette de l’aristocrate au port altier malgré le poids des ans. L’homme compléta sa tenue par un panama, blanc immaculé avec un cordon de cuir tressé, une montre gousset en argent flambante neuve, qu’il glissa dans sa poche revolver, près du cœur. Enfin, il coinça un énorme cigare entre ses dents, sans l’allumer.
Il commandait ces cigares directement à une exploitation située non loin de Salvador de Bahia. Ils arrivaient directement dans leur boîte de bois tropical odorant. Bernardo aimait ouvrir cet écrin, laisser s’en dégager les arômes capiteux, les respirer lentement, puis toucher la surface rugueuse des cigares, admirant la couleur brune profonde de son pêché mignon.
En sortant de sa villa, il salua son serviteur, le vieux Luis, et se saisit de sa canne. Il aimait cet objet tout autant que les cigares. Il faisait partie de lui au même titre que ces yeux bleus, soi-disant héritage d’un aventurier français, débarqué par hasard et bonheur sur les côtes brésiliennes pour y faire fortune, il y a de cela plus d’un siècle.
Il n’avait aucun besoin de cette canne car, malgré son âge respectable, l’homme avait bon pied, bon œil. Aucun souci de santé particulier, pas d’arthrose voire même une énergie débordante bien connue par la gente féminine de Rio, aussi bien des dames de la haute, son microcosme d’origine, que des filles de joies à la peau d’ébène que le vieux n’hésitait pas à visiter, non loin des docks.

Bernardo avait fait fortune dans le négoce. Import-export entre le Brésil et l’Europe. Du bois, du café, des produits tropicaux par bateaux entiers. La période était faste, la guerre oubliée. L’Europe commençait à consommer à outrance, sans retenue.
Les bureaux de la société Le Tellier se trouvaient sur le port mais en ce jour d’été austral, Bernardo se dirigeait de son pas nonchalant vers le petit quartier du centre-ville, ruelles étroites et pavés datant de l’époque coloniale. En cette période de l’année, les petites rues offraient une ombre bienvenue, protégeant le chaland des rayons que le soleil dardait sans répit sur la cité. Les murs et les balcons se couvraient d’une multitude de fleurs aux couleurs éclatantes. Glycines, bougainvillés, magnolias et géraniums déployaient leurs charmes et leurs senteurs. Bernardo arriva sur la petite place de San Fernando. Il jeta un œil vers l’église élevée là par un groupe de Bénédictains en l’an de grâce mille sept cents quatre vingt quatorze.
Il ne se signa pas, ni n’accorda de salut au prêtre assis sur le parvis du bâtiment. Bernardo n’avait qu’un dieu, le dollar, et une religion, les affaires. Il finit par s’assoir à la terrasse de son café préféré, le Madrigal, sis en face de l’église.
L’établissement était un respectable café centenaire tout de briques rouges et de boiseries. Les garçons était habillé « à la française », austère costard noir er tablier blanc. Bernardo commanda un café et s’apprêta à le savourer tout en laissant son regard errer sur la petite place. Un groupe de paysans, fraîchement débarqués en ville, en quête d’une vie meilleure et de travail, attira son regard.
Ils étaient de plus en plus nombreux, ces pauvres gens de la campagne, à venir chercher un bonheur illusoire, dans ces cités ressemblant de plus en plus à des monstres tentaculaires à la croissance sans fin, boursouflés de quartiers où se concentraient la misère et les malheurs.

Soudain, des bruits de course éffrénée, de cris et de sifflets lui firent pivoter la tête. Surgisant de la foule de plus en plus dense à cette heure de messe approchante. Un gamin, sale et hirsute, à peine âgé de plus de six printemps passa en trombre frôlant la table de Bernardo et manquant de renverser un serveur offusqué par tant de barbarie infantile. Aux trousses du drôle, un policier ventripotant, rougeaud, vociférant et soufflant comme une locomotive. Dans une fureur noire, il invectivait pêle-mêle gamin en fuite et passants le retardant dans sa lourde chevauchée.

Lorsqu’il y réfléchirai, plus tard, Bernardo ne sut jamais vraiment pourquoi il agit ainsi. Quoiqu’il en soit, sans hésitation, il tendit sa canne, la tenant fermement. Le représentant de la force publique s’entrava dans l’incongru bout de bois, passa cul par-dessus tête, décrivant un soleil comme le Brésil les aime, de ceux qui font mûrir les fruits et donne aux filles d’Ipanéma un doux bronzage couleur caramel. L’atterissage fut des plus pesant, incomparablement moins distingué que l’ellipse précédemmment effectuée. Le policier tourna ses yeux porcins, pleins de fureur vers le vieil homme. Son visage se décomposa face au regard d’acier de l’homme d’affaires.
La sentinelle de l’ordre civil se releva, remis sa casquette d’un geste rageur et, écumant de rage, maudissant les pavés, responsable de la mésenvature, s’en alla sous de meilleurs cieux et des sols plus réguliers. Bernardo se leva sans prêter attention aux ricanements de certains passants et aux regards médusés des serveurs.

Il reprit le chemin de sa villa. Entra, rangea canne et chapeau. On frappa. Bernardo soupira, sachant déjà qui il allait trouver derrière la porte. Il l’entrouvit, passant juste sa tête. Le sourire espiègle et les yeux pétillants, le gamin le remercia de son intervention tout en tentant de jeter d’incessants coups d’œil vers l’intérieur. Bernardo soupira puissament, de nouveau. Puis, il haussa les épaules. Après tout, il n’avait pas grand-chose à faire cet après-midi, voire les jours suivants, il ouvrit la porte en grand…
« Tu as faim ? Tu veux entrer ? »

Ajax

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